A la découverte d’un autre bonheur

Marie Martinod,
à la découverte d’un autre bonheur

Février 2004, direction la Turquie pour un voyage inattendu avec le team Oxbow, entre skieurs et snowboardeurs. La Turquie… on s’est demandé ce qu’on allait bien pouvoir faire là-bas avec nos planches

Paris – Trabzon : atterrissage les yeux grands ouverts, émerveillée à l’idée de voyager avec des amis, de skier où je n’avais jamais mis les pieds.
Le premier matin sonne déjà comme une aventure inattendue. « Il y a un village plus haut dans la montagne, coupé du monde pendant 6 mois. Il y a trop de neige donc ils ne montent plus et ne descendent plus. Ils restent là-haut, isolés du monde. On va aller skier là-bas » nous raconte l’organisateur d’Oxbow.

L’esprit perplexe mais débordant de motivation, on a pris le challenge. Ils nous ont trouvé alors un véhicule type 4×4 pour monter. On grimpait tous dedans et on entamait une route absolument pas déneigée. On a roulé, roulé, roulé. Puis on a rencontré deux personnes. Un homme et une femme chargée avec un gros fagot de bois qui avait l’air très lourd. Le monsieur à côté n’était pas chargé du tout. Il marchait tranquillement avec seulement un fusil aux dos. On a compris qu’ils remontaient à pied vers ce fameux village. Avec notre interprète, on s’est arrêté pour discuter avec eux. Ils nous ont expliqué qu’ils montaient au village alors on s’est dit « on les prend et on les monte ! ». Du haut de mes 22 ans, j’ai dis à l’interprète « tu peux demander à la femme pourquoi c’est elle qui porte le bois ? » Comme je n’étais pas au fait de la raison, je pensais que c’était par machisme. Elle nous a expliqué qu’elle portait le bois parce que lui avait le fusil sur le dos. En cas d’ attaque, elle n’aurait pas su tirer. Seul l’homme savait le faire. Alors elle portait le bois. Finalement, cela paraissait tout à fait normal. C’était simplement culturel.

On continue de monter. « Comme des Américains » on débarque à une dizaine de caméramans et riders avec notre camion dans ce fameux village… en totale autarcie. On avait vu sur notre carte qu’il y avait un village mais on n’avait pas de contact, ils ne nous attendaient pas !

Arrivé là-haut, il y avait une quinzaine d’enfants qui jouaient dehors dans la neige. Ils avaient tous à priori un problème de foi, récurant à tout le village, telle une jaunisse. Dès notre arrivée, ils nous ont proposés de passer la nuit chez eux, dans la plus grandes des maisons. Un chalet avec une seule pièce à vivre et une autre toute petite pièce à côté pour la maman. En-dessous il y avait les vaches, c’était le chauffage central. Ils nous ont sorti du fromage qu’ils avaient fait. Ils nous ont reçus comme des rois. Le lendemain matin, la maman était descendue exprès traire les vaches pour qu’on ait le p’tit lait au réveil. Le goût était très prononcé ! Ce n’était pas très bon mais pour eux ils nous donnaient le meilleur. Au terme de ce petit déjeuner, arrive le moment de sortir nos planches (nos skis, nos boards), que l’on fait essayer aux enfants.

Un instant de partage autour de notre passion pour la glisse… inoubliable. Il y a même un garçon qui est allé nous chercher une espèce de planche avec une corde au bout. Il nous montrait qu’ils faisaient ça aussi, à leur manière. C’était très rustique mais voilà ils glissaient dans la neige, ils savaient faire !

Nos cultures sont vastes. On a beau te le dire, ou le voir dans de fabuleux reportages à la télé, quand tu t’y confronte c’est magique.

Ce voyage était déjà bien loin de l’idée qu’on pouvait se faire de la Turquie, et pourtant ce n’était que le début de la belle aventure, une discussion viendra l’illuminer.

Un soir, je dialogue avec la dame qui nous a accueilli. Elle devait avoir tout juste 40 ans alors qu’on lui aurait donné 65 ans ! Marquée par une vie de travail, par le labeur et le soleil, car là-bas ils ne connaissent pas la crème solaire. Elle ne comprenait pas pourquoi j’avais une croix de Savoie autour du cou. Elle avait une main de fatma. J’essayai de lui parler, de lui faire des signes, de lui expliquer que c’était mon dieu. On rigolait. Je ne parlais pas un mot de sa langue et elle pas un mot de la mienne ! Pourtant elle comprenait bien où je voulais en venir. On s’est bien compris d’un point de vue spirituel et il n’y avait pas de jugement. On ne peut pas dire « ton dieu est mieux que le miens ». Un très bon souvenir de bienveillance. Pendant cette discussion, l’interprète n’était pas là. Il devait être plus loin dans le chalet ou à parler avec d’autres. Pourtant on s’est compris.

On était heureuse d’avoir passé la journée ensemble, de se rencontrer et d’essayer de communiquer comme on pouvait. L’être humain qui est capable de se reconnaitre dans l’autre et de voir qu’importe la culture, qu’importe la langue, on est pareil. On peut se comprendre, on peut s’aimer. J’ai compris ce jour-là que la Terre est vaste, que nos cultures sont vastes. On a beau te le dire, ou le voir dans de fabuleux reportages à la télé, quand tu t’y confronte c’est magique. C’était un accueil incroyable.

Cette femme, peut-être qu’elle n’est plus de ce monde, il s’est passé quelque chose d’indescriptible.

Un voyage qui remet en question toutes nos certitudes et le monde dans lequel on vit.

En arrivant au village, j’avais peur de les déranger, de n’être pas bien accueilli. En tant qu’européen on s’attendait à ce qu’ils ne soient pas très ravis à ce qu’ils nous voient débarquer… au contraire. Ils n’étaient pas prévenus de notre arrivée et n’avaient jamais vu des gens comme nous. La belle histoire c’est que ces gens du village ont eu besoin de 4 secondes à nous accepter. Grâce à eux, on a ridé l’esprit libre pendant deux jours dans des endroits où certainement personne n’avait jamais skié.

J’étais jeune mais ça m’a beaucoup touché et marqué. Me dire que lorsqu’on fait preuve d’un petit peu d’ouverture d’esprit et qu’on ne craint pas les gens qui arrivent d’ailleurs tout peut très bien se passer.

J’ai aussi compris que la montagne n’est pas forcément la même chose partout sur le globe. Naïvement, pour moi la montagne c’était une vallée avec une station, des télésièges, des gens qui font du business avec du tourisme. Je connaissais la montagne qu’au travers des stations de ski. Que ce soit chez nous dans les Alpes ou ailleurs sur la planète où j’avais eu la chance d’aller. Ici, j’ai compris qu’en fait la montagne est un milieu hostile. Nous on l’a colonisée et ça nous parait normal mais il y a encore plein de gens qui vivent à l’ancienne ! Là-bas, dès les premières neiges, il faut qu’ils aient accumulés assez de grain pour passer l’hiver. Et pourtant, ces gens n’avaient vraiment pas l’air malheureux ! Au contraire, ils étaient très heureux. Ils ne sont pas surdéveloppés, ils ne savent pas ce que c’est l’or blanc. Pour eux, la neige est paralysante et coince leur activité une partie de l’année. Nous, à l’inverse, on l’attend tous les ans pour faire tourner les ¾ de l’industrie. Cette expérience a changé ma vision sur la montagne. Pas tant sur le tourisme parce qu’après tout ce n’est pas un milieu touristique puisqu’il nécessite de marcher 1h30 dans la neige pour y arriver ! Tu es perdu quelque part là-bas. Ils vivent peut-être comme chez nous il y a 200 ans en arrière ! C’était une vraie découverte.

Pour les organisateurs d’Oxbow, s’ils avaient imaginé que ça serait sympa de faire des images en haut et de tomber sur quelques villageois, je pense que c’étaient les premiers à se faire surprendre de cette chaleur humaine, de l’accueil et de ces rencontres. On est tous parti de là-bas comme des enfants. Ça remet en question toutes nos certitudes et le monde dans lequel ont grandi.

Peut-être que le bonheur se trouve bien plus simplement.

Ça a changé ma vision d’envisager le bonheur. J’étais une jeune fille bien lotie avec une carrière internationale et des sponsors. J’étais jeune et pourtant autonome financièrement.

C’est la première fois que je me suis dit « ah mais en fait le schéma dans lequel on vit pour soi-disant atteindre le bonheur » ce discours un peu classique « il faut un bon métier pour gagner un peu d’argent, pour pouvoir acheter une maison ». Peut-être que le bonheur se trouve bien plus simplement.

J’avais beaucoup voyagé mais toujours dans le même genre d’endroits. Une station dans le Colorado est quand même très proche d’une station en Suède ou d’une station en Suisse ou en Russie. Ce sont des endroits privilégiés. J’avais déjà vu tellement plus de pays que la majorité des gens avec qui j’étais à l’école. Je me sentais déjà très chanceuse d’avoir pu voir le monde. Après ce voyage, j’ai compris que j’avais vu une partie du monde. Je n’étais pas vraiment sorti de mes cercles en fait.

Aujourd’hui en tant que maman je plante des graines de cette expérience. À travers ses petits yeux, ma fille sait qu’elle a de la chance, que la vie qu’elle mène est faite de confort parce que je travaille beaucoup car ça a un coût. Même si elle se contente facilement de promenades aux bords de la maison c’est difficile d’amener ces notionslà, de simplicité, de bonheur, de nature quand les enfants sont plus de temps à l’école que chez toi. Ils ont aussi leurs propres influences. On ne peut pas les couper du monde dans lequel on vit mais on plante des graines très souvent. Une fois qu’on va pouvoir voyager de nouveau, il est probable que les destinations soient souvent culturellement opposées à ce qu’elle connaît.

Il faut vivre l’instant présent. On n’a pas de certitude, « la seule chose que je sais c’est que je ne sais rien » Socrate

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